Le dispositif juridique relatif à l’open data des décisions de justice vient d’être complété par la publication d’un nouveau texte. En effet l’arrêté du 28 avril 2021 pris en application de l’article 9 du décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives (1) a été publié récemment.
Cet arrêté comporte un calendrier qui fixe les échéances pour la mise à disposition gratuite et sous forme électronique de toutes les décisions de justice au public. Il en résulte que cette mise à disposition des décisions rendues par les juridictions administratives et judiciaires va être faite progressivement en fonction des ordres de juridiction, du niveau d’instance et de la matière en cause. A l’issue de ce calendrier c’est, au plus tard, le 31 décembre 2025 que toutes les décisions de justice doivent être disponibles en ligne.
Outre cet arrêté et le décret du 29 juin 2020 précité (2) le corpus relatif à l’open data des décisions de justice comporte également la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique (3) et la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (4).
L’ensemble de ces textes peut aider à établir une justice prédictive. Toutefois il existe des limitations à celle-ci. Nous désirons plus particulièrement évoquer une limite posée par la loi du 23 mars 2019 précitée, limite qui, à notre sens, dépasse le cadre de la justice prédictive.
En effet l’article 33 de cette loi a introduit dans l’article L. 10 du code de justice administrative et dans l’article L 111-13 du code de l’organisation judiciaire une interdiction ainsi formulée : « les données d’identité des magistrats et des membres du greffe ne peuvent faire l’objet d’une réutilisation ayant pour objet ou pour effet d’évaluer, d’analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées ».
Ces deux articles précisent que la violation de cette interdiction est punie des peines prévues aux articles 226-18,226-24 et 226-31 du code pénal, sans préjudice des mesures et sanctions prévues par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Les sanctions sont donc lourdes, dissuasives, et disproportionnées, puisqu’elles sont notamment constituées par une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq années et une amende pouvant atteindre trois cent mille euros.
Cette interdiction ne sert pas la justice et s’avère extrêmement gênante pour la qualité de celle-ci.
En effet la pratique interdite par ces articles était susceptible de démontrer des comportements anormaux de certains juges. Ainsi elle était susceptible de démontrer des carences de certains juges dans la connaissance du droit. Elle était également susceptible de démontrer la volonté de certains juges de se conformer à une idéologie au détriment des droits des justiciables. Elle était aussi susceptible de démontrer le manque d’impartialité de certains juges.
Il est bien évident que si de telles démonstrations étaient faites la raison du maintien des juges en question dans leurs fonctions poserait de grandes interrogations. Il serait anormal de conserver des personnes qui présenteraient de tels manquements. Une personne qui présente de grandes carences dans les connaissances nécessaires pour l’exercice de sa fonction ne doit pas être conservée. Une personne qui se prononce en fonction de son idéologie et non en fonction de la règle de droit ne doit pas être conservée. Une personne qui n’est pas impartiale ne doit pas être conservée. Les personnes qui présentent ce type de manquements sont dangereuses pour la qualité de la justice et pour les justiciables.
Si les conséquences qu’il faudrait tirer de telles constatations peuvent apparaître dures nous devons signaler qu’en fonction des manquements constatés des solutions alternatives peuvent exister.
Ainsi une personne qui présenterait des connaissances insuffisantes sur des points particuliers pourrait, en fonction de l’étendue des carences constatées, être conservée sous la réserve de s’astreindre à améliorer son niveau. Elle pourrait faire l’objet d’actions de formations ciblées destinées à augmenter ses connaissances.
L’interdiction d’évaluer, d’analyser et de comparer les pratiques des magistrats, voire des greffiers, empêche la réalisation de ces constats et de ces actions. C’est pourquoi cette interdiction constitue une nuisance évidente à la qualité de la justice.
Notes de bas de page :
(1) Consultation de l’arrêté du 28 avril 2021 pris en application de l’article 9 du décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives.
(2) Consultation du décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives.
(3) Consultation de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.
(4) Consultation de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.