Accident lors d’un transport ferroviaire : la faute du voyageur exonère le transporteur

Dans un arrêt en date du 11 décembre 2019 la première chambre civile de la Cour de cassation a affirmé que le transporteur ferroviaire peut s’exonérer de sa responsabilité envers le voyageur lorsque l’accident est dû à une faute de celui-ci, sans préjudice de l’application du droit national en ce qu’il accorde une indemnisation plus favorable des chefs des préjudices subis par la victime (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 11 décembre 2019, N° de pourvoi : 18-13.840).

Au cas d’espèce dans un compartiment bondé d’un train de la SNCF un voyageur, muni d’un titre de transport, avait été victime d’un écrasement du pouce gauche à la suite de la fermeture d’une porte automatique.

Ce voyageur avait par la suite assigné cette entreprise de transport ferroviaire aux fins de la voir déclarée entièrement responsable de son préjudice et pour obtenir sa condamnation à lui payer une provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice.

La Cour d’appel compétente en seconde instance avait déclaré la SNCF entièrement responsable de l’accident dont a été victime ce voyageur et cette Cour d’appel a condamné la SNCF à réparer l’entier préjudice subi par ce voyageur.

C’est dans ces conditions que la SNCF a exercé un pourvoi à l’encontre de l’arrêt rendu par la Cour d’appel, pourvoi qui était motivé par un moyen unique.

Par ce moyen la SNCF affirmait qu’en vertu de l’article 11 du règlement (CE) n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires, qui s’applique aux voyages et services ferroviaires fournis après son entrée en vigueur, le 4 décembre 2009, la responsabilité des entreprises ferroviaires relative aux voyageurs et à leurs bagages est régie par le règlement sans préjudice du droit national octroyant aux voyageurs une plus grande indemnisation pour les dommages subis.

La SNCF poursuivait en affirmant qu’il résulte de cette disposition d’harmonisation maximale que le droit interne n’a pas vocation à se substituer au régime de responsabilité instauré par le règlement, mais seulement à le compléter lorsqu’il permet une plus grande indemnisation, c’est-à-dire au seul stade de l’évaluation du dommage.

La SNCF continuait en soutenant que le règlement précité prévoyant la possibilité pour le transporteur de se prévaloir d’une faute même simple de la victime, il s’oppose à l’application du droit français interne, tel qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation, selon laquelle seule la faute de la victime revêtant les caractères de la force majeure peut être opposée à cette victime.

La SNCF reprochait ensuite à la Cour d’appel d’avoir malgré cela estimé que l’article 26.2, b), du règlement du 23 octobre 2007, qui n’envisage qu’une faute simple du voyageur, serait de nature à limiter la responsabilité du transporteur et par conséquent à limiter l’indemnisation du voyageur par rapport au droit interne français, qui est plus exigeant sur les facultés d’exonération de ce transporteur » pour décider que seul l’article 1231-1 du code civil pouvait s’appliquer à la réparation du dommage subi par le voyageur.

La SNCF en concluait qu’en décidant que l’article 11 du règlement permettait d’évincer l’application de ce texte au profit du droit interne, dont le régime était plus favorable à la victime, tandis que l’article 11 n’autorise pas une telle éviction, la cour d’appel avait violé les articles 11, 26.2, b), du règlement (CE) n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007, L. 2151-1 du code des transports, et 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause, devenu 1231-1 du même code depuis l’ordonnance du 10 février 2016.

La première chambre civile de la Cour de cassation allait s’avérer sensible à cette argumentation et revenir sur sa jurisprudence traditionnelle selon laquelle le transporteur ferroviaire, tenu envers les voyageurs d’une obligation de sécurité de résultat, ne peut s’exonérer de sa responsabilité contractuelle en invoquant la faute d’imprudence de la victime que si cette faute, quelle qu’en soit la gravité, présente les caractères de la force majeure.

La Cour de cassation opère ainsi un véritable revirement de jurisprudence.

Avant d’exposer son raisonnement la Cour de cassation prend soin de viser les articles 11 du règlement CE n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007, et 26 de son annexe I, L. 2151-1 du code des transports et 1147 du code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016–131 du 10 février 2016.

La Cour de cassation affirme ensuite qu’aux termes de l’article 11 du règlement CE n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 sans préjudice du droit national octroyant aux voyageurs une plus grande indemnisation pour les dommages subis, la responsabilité des entreprises ferroviaires relative aux voyageurs et à leurs bagages est régie par le titre IV, chapitres I, III et IV, ainsi que les titres VI et VII de l’annexe I du règlement n° 1371/2007.

La Cour de cassation poursuit en indiquant que selon l’article 26 de l’annexe I du règlement CE n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 le transporteur est responsable du dommage résultant de la mort, des blessures ou de toute autre atteinte à l’intégrité physique ou psychique du voyageur causé par un accident en relation avec l’exploitation ferroviaire survenu pendant que le voyageur séjourne dans les véhicules ferroviaires, qu’il y entre ou qu’il en sorte et quelle que soit l’infrastructure ferroviaire utilisée. Il est déchargé de cette responsabilité dans la mesure où l’accident est dû à une faute du voyageur.

La Cour de cassation précise ensuite que ces dispositions du droit de l’Union, entrées en vigueur le 3 décembre 2009, sont reprises à l’article L. 2151-1 du code des transports, lequel dispose que ledit règlement n° 1371/2007 s’applique aux voyages et services ferroviaires pour lesquels une entreprise doit avoir obtenu une licence conformément à la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen.

La Cour de cassation en tire comme conséquence qu’il résulte de ces textes que le transporteur ferroviaire peut s’exonérer de sa responsabilité envers le voyageur lorsque l’accident est dû à une faute de celui-ci, sans préjudice de l’application du droit national en ce qu’il accorde une indemnisation plus favorable des chefs de préjudices subis par la victime.

Cette constatation lui permet de modifier sa jurisprudence antérieure.

Se concentrant sur l’arrêt rendu par la Cour d’appel la Cour de cassation précise que pour accueillir les demandes du voyageur l’arrêt en cause retient que l’article 11 du règlement n° 1371/2007 pose un principe général de responsabilité du transporteur ferroviaire au-dessous duquel les Etats membres ne peuvent légiférer, ainsi qu’un principe de droit à indemnisation. Cet arrêt ajoute que l’article 26, § 2, b), de l’annexe I, qui n’envisage qu’une faute simple du voyageur, est de nature à limiter la responsabilité du transporteur et, par suite, l’indemnisation du voyageur au regard du droit interne français, plus exigeant sur les conditions d’exonération du transporteur ferroviaire.

Ledit arrêt en conclut, remarque la Cour de cassation, que seul l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, trouve à s’appliquer. Dès lors, précise la Cour de cassation, en statuant ainsi, alors que les dispositions du règlement devaient recevoir application, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

La Cour de cassation casse en conséquence l’arrêt rendu par la Cour d’appel et renvoi les parties devant une autre Cour d’appel.

Il faut retenir de cet arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation que la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le transporteur ferroviaire, tenu envers les voyageurs d’une obligation de sécurité de résultat, ne peut s’exonérer de sa responsabilité contractuelle en invoquant la faute d’imprudence de la victime que si cette faute, quelle qu’en soit la gravité, présente les caractères de la force majeure (1re Civ., 13 mars 2008, pourvoi n° 05-12.551, Bull. 2008, I, n° 76 ; Ch. mixte, 28 novembre 2008, pourvoi n° 06-12.307, Bull. 2008, I, n° 3) est passée de vie à trépas et n’est plus qu’un souvenir.

Il faut désormais tenir compte du principe affirmé par la Cour de cassation dans le présent arrêt, selon lequel le transporteur ferroviaire peut s’exonérer de sa responsabilité envers le voyageur lorsque l’accident est dû à une faute de celui-ci, sans préjudice de l’application du droit national en ce qu’il accorde une indemnisation plus favorable des chefs de préjudices subis par la victime.

Ainsi le droit national n’intervient qu’en seconde ligne, uniquement pour permettre une indemnisation plus favorable de la victime si la responsabilité du transporteur ferroviaire a été retenue par l’application des règles instituée par la législation de l’Union Européenne.

Cet arrêt soulève toutefois quelques interrogations.

Ainsi il concerne le cas du voyageur transporté dans un train, c’est donc la responsabilité contractuelle de l’entreprise de transport ferroviaire qui est en cause. A contrario il n’a pas vocation à régir le cas du voyageur qui ne serait pas encore monté dans un train et qui serait victime d’un accident sur le quai de la gare, situation où s’appliquerait les règles de la responsabilité extracontractuelle.

De même dans le rappel des faits la Cour de cassation mentionne expressément que le voyageur était dans le cas présent muni d’un titre de transport. On peut donc se demander si la solution serait exactement la même en présence d’un voyageur démuni d’un tel titre.

Pour aller plus loin :

Consultation de l’arrêt : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 11 décembre 2019, N° de pourvoi : 18-13.840.

ECLI:FR:CCASS:2019:C101040

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence , du 21 décembre 2017