L’arrêt GISTI est très connu en droit administratif. Il serait d’ailleurs plus adéquat de faire référence aux arrêts GISTI car le Groupe d’information et de soutien des travailleurs étrangers a fait preuve d’une activité absolument exceptionnelle en multipliant les recours devant les juridictions à tels points que plusieurs arrêts importants ont été rendus à son initiative. Présentement nous allons nous commenter d’évoquer uniquement celui rendu par le Conseil d’Etat le 8 décembre 1978.
Cet arrêt du 8 décembre 1978 a été rendu au sujet du regroupement familial. En effet un décret du 10 novembre 1977 avait suspendu pour une période de trois années le décret du 29 avril 1976 qui avait autorisé le regroupement familial.
Le décret du 10 novembre 1977 a été pris par le Gouvernement de l’époque en raison d’une montée du chômage. Il devait permettre de lutter contre cette montée du chômage en interdisent le regroupement familial pour une période de trois ans sauf si les personnes membres de la famille concernée par le regroupement familial ne demandaient pas un accès à l’emploi.
Il n’interdisait en conséquence pas totalement le regroupement familial mais limitait celui-ci dans le but louable de permettre l’accès à l’emploi au plus grand nombre. Le GISTI, la CFDT et la CGT s’empressèrent d’attaquer en excès pouvoir ce décret du 10 novembre 1977 afin d’obtenir son annulation.
Le Conseil d’État prononça l’annulation du décret du 10 novembre 1977. Pour annuler ledit décret le Conseil d’État affirma qu’il résulte des principes généraux du droit et, notamment, du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel se réfère la Constitution du 4 octobre 1958 que les étrangers résidant régulièrement en France ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale.
Le Conseil d’État considéra ensuite que ce droit comporte, en particulier, la faculté pour ces étrangers, de faire venir auprès d’eux leur conjoint et leurs enfants mineurs.
Le Conseil d’État poursuivit en affirmant que, s’il appartient au Gouvernement, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, et sous réserve des engagements internationaux de la France de définir les conditions d’exercice de ce droit pour en concilier le principe avec les nécessités tenant à l’ordre public et à la protection sociale des étrangers et de leur famille, ledit gouvernement ne peut interdire par voie de mesure générale l’occupation d’un emploi par les membres des familles des ressortissants étrangers.
Ainsi au terme de ce raisonnement le Conseil d’État estima que le décret du 10 novembre 1977 était illégal, d’où son annulation.
De cet arrêt du 8 décembre 1978 du Conseil d’Etat il faut retenir que le Conseil d’Etat a dégagé avec cet arrêt un principe général du droit. Ce principe général du droit réside dans le droit de mener une vie familiale normale y compris pour un étranger. Selon le Conseil d’Etat ce principe général du droit doit être concilié avec les nécessités qui tiennent à l’ordre public et à la protection sociale des étrangers et de leurs familles. Il y a donc un équilibre à trouver mais pour le Conseil d’Etat cet équilibre n’est pas respecté lorsque le gouvernement par une mesure générale interdit aux étrangers d’occuper un emploi. Cet équilibre aurait il été respecté si la suspension du regroupement familial avait été effectué de façon à interdire l’entrée sur le territoire aux personnes ne disposant pas de ressources suffisantes ? C’est une possibilité mais nul ne le sait réellement car ce n’était pas la question posée au Conseil d’État, on peut juste s’interroger à ce sujet en raison de la formulation retenue par le Conseil d’État dans cet arrêt.
L’arrêt GISTI du 8 décembre 1978 a été extrêmement important lorsqu’il a été rendu. Néanmoins le principe général du droit qu’il affirme a été par la suite partiellement occulté par une autre règle de droit. En effet ultérieurement, dans des cas où vraisemblablement ce principe général du droit avait vocation à s’appliquer également, le Conseil d’Etat au lieu de se référer à ce principe général du droit a donné préférence à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui concerne le droit au respect de la vie privée familiale.
Les commentaires relatifs à cet arrêt GISTI s’arrêtent généralement à ce stade. Pourtant il y a plus d’enseignements à en tirer. Pourtant les conséquences de cet arrêt doivent être appréciées totalement. En effet l’annulation du décret du 10 novembre 1977 qui suspendait le regroupement familial a nécessairement comme conséquence de permettre une augmentation de l’immigration. Cette augmentation de l’immigration a elle même comme conséquence une augmentation du chômage puisque de plus en plus de demandeurs d’emploi sont présents sur le territoire national. Il est admirable de constater que parmi les personnes à l’origine de cet arrêt se trouve notamment ceux qui se targuent de lutter contre le chômage et pour l’emploi. Ainsi l’arrêt GISTI, par delà le principe général affirmé, marque l’échec du Gouvernement de l’époque en matière de lutte contre l’immigration et de lutte contre le chômage.
Pour aller plus loin :
Consultation de l’arrêt GISTI rendu par le Conseil d’État le 8 décembre 1978.
Le livre : « Les grands arrêts de la jurisprudence administrative » (Dalloz).
Le livre : « L’essentiel des grands arrêts du droit administratif » (Gualino Editeur).