Depuis plusieurs décennies le Conseil constitutionnel a pris des libertés avec la Constitution de la cinquième république, sortant complètement du rôle pour lequel il avait été créé au point de déséquilibrer totalement les institutions et de devenir un danger mortel pour notre pays.
Si le Conseil constitutionnel a eu dès l’origine différentes missions, les deux plus importantes d’entre elles résident pour l’une dans le contrôle de la conformité des Lois à la Constitution, contrôle prévu par l’article 61 de la Constitution, et pour l’autre dans le respect de la distinction entre le domaine législatif et le domaine réglementaire, dans le but d’éviter que le pouvoir législatif empiète sur les attributions du pouvoir exécutif, ce second rôle lui étant dévolu par l’article 37 de la Constitution. On pouvait d’ailleurs penser au lendemain de l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958 que ce second rôle serait le plus important, alors que, dans les faits, le contrôle de constitutionnalité des Lois a nettement pris le dessus.
Concentrons-nous sur le contrôle de la constitutionnalité des lois. Nous pouvons constater que le texte initial de la Constitution prévoyait qu’il incombait au conseil constitutionnel, en application de l’article 61 de la Constitution de vérifier la conformité des lois à la Constitution, du moins pour les seules lois qui lui étaient soumises avant promulgation, étant précisé que seuls le Président de la République, le Premier Ministre, ou le président de l’assemblée nationale ou du Sénat, pouvaient déférer ces lois au Conseil constitutionnel. Ces éléments sont tous importants puisque le dysfonctionnement actuel du Conseil constitutionnel a été initié par cette institution et aggravé par les réformes constitutionnelles qui ont par la suite modifiées le texte de la Constitution.
Nous allons procéder par étape en évoquant tout d’abord l’origine du mal dont souffre actuellement le fonctionnement de nos institutions, et plus largement notre pays, à savoir l’initiative du Conseil Constitutionnel pour accroître ses pouvoirs.
En effet le contrôle de la constitutionnalité des lois devait être effectué uniquement par rapport au texte de la Constitution. Toutefois le Conseil constitutionnel allait élargir les normes sur lesquelles il peut s’appuyer pour procéder à cette vérification en procédant progressivement à la création d’un véritable bloc de constitutionnalité, selon une expression désormais convenue dont le mérite revient à Claude Emeri. Dans la création de ce bloc de constitutionnalité le moment décisif réside dans une décision du Conseil constitutionnel en date du 16 juillet 1971 par laquelle le Conseil constitutionnel a étendu son contrôle à la conformité des lois au préambule de la Constitution. Le Conseil constitutionnel motive explicitement sa décision en se fondant sur les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution.
En faisant référence au préambule de la Constitution le Conseil constitutionnel prend la liberté de se fonder sur la Déclaration des droits de l’homme de 1789, sur le préambule de la Constitution de 1946, sur les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République puisque cette expression est présente dans le préambule de la Constitution de 1946, étant précisé qu’il n’existe aucune liste ou définition de ces principes fondamentaux, ce qui permet au Conseil constitutionnel de les définir à sa guise.
En procédant ainsi, le Conseil constitutionnel a réalisé un véritable coup d’État institutionnel. En effet le préambule de la Constitution ne devait pas avoir la même valeur juridique que les articles de la Constitution. Dans leur ouvrage relatif au commentaire de la Constitution Guy Carcassonne et Marc Guillaume rappellent la raison d’être de ce préambule, en ces termes : « Le général de Gaulle avait parcouru, dans une légalité de
circonstance, le chemin de Colombey-les-Deux-Églises à Paris. Or ce chemin lui avait été ouvert par les officiers factieux qui, à Alger le 13 mai 1958, s’étaient insurgés contre le pouvoir de la République. Il n’était donc pas superflu, pour dissiper les dernières craintes, de réaffirmer les principes bafoués quelques semaines auparavant » plus loin les auteurs ajoutent : « les rédacteurs de la Constitution pensaient sacrifier à un rite opportun, en la faisant précéder d’une formule propitiatoire », et ajoutent encore, en faisant référence à la décision précitée du conseil constitutionnel et à ses suites : « le premier alinéa du préambule a acquis une importance considérable, que ses auteurs n’avaient pu imaginer », fin de citation.
Dans le mĂŞme sens nous pouvons noter que dans un entretien donnĂ© Ă la revue Espoir en 1992 Robert Badinter reconnaĂ®t que pour le GĂ©nĂ©ral de Gaulle il Ă©tait « hors de question d’Ă©tendre le respect de la Constitution aux principes visĂ©s dans le PrĂ©ambule de la Constitution », Robert Badinter ajoutant : « la question a Ă©tĂ© posĂ©e au cours des travaux prĂ©paratoires et le Commissaire du Gouvernement, M. Janot, a Ă©tĂ© extrĂŞmement prĂ©cis Ă ce sujet en dĂ©clarant devant le ComitĂ© consultatif constitutionnel : Mais ni la DĂ©claration ni le PrĂ©ambule n’ont, dans la jurisprudence actuelle, valeur constitutionnelle. Leur donner valeur constitutionnelle aujourd’hui, au moment oĂą on crĂ©e un Conseil constitutionnel, c’est aller au-devant de difficultĂ©s considĂ©rables, et c’est s’orienter dans une très large mesure vers ce gouvernement des juges, que beaucoup d’entre vous croyaient redoutable », fin de citation.
Avec cette décision du 16 juillet 1971 le Conseil constitutionnel a pris un pouvoir immense dont la seule limite semble être sa propre volonté. Ainsi le Conseil constitutionnel au fil du temps se complut à multiplier les principes et les règles de valeurs constitutionnelles que le législateur doit respecter. À ceux-ci le Conseil constitutionnel ajouta des objectifs de valeur constitutionnelle, nouvelle catégorie sortie du chapeau venant elle aussi contraindre le pouvoir législatif.
Cette situation déjà dangereuse allait encore être aggravée par plusieurs réformes constitutionnelles ayant pour conséquence l’augmentation du nombre de textes sur lesquels le Conseil constitutionnel peut se prononcer, ce qui est d’autant plus fâcheux que lorsqu’il est saisi d’un texte, le Conseil constitutionnel peut se prononcer sur l’ensemble du texte, même si la saisine ne porte que sur une partie de celui-ci.
Ainsi en va-t-il de la modification de la saisine du Conseil constitutionnel initialement réservée au Président de la République, au Premier ministre, au Président de l’Assemblée nationale ou à celui du sénat, elle a été ouverte en 1974 à soixante députés ou sénateurs. Ainsi en va-t-il également de la question prioritaire de constitutionnalité. Prévue depuis 2008 à l’article 61-1 de la Constitution cette question prioritaire de constitutionnalité peut amener le Conseil constitutionnel à se prononcer sur une loi déjà entrée en vigueur.
Dans la mĂŞme optique il faut prĂ©ciser que le prĂ©ambule de la Constitution a Ă©tĂ© modifiĂ© en 2005 pour insĂ©rer dans celui-ci la rĂ©fĂ©rence aux droits et devoirs dĂ©finis dans la Charte de l’environnement de 2004, faisant ainsi rentrer ceux-ci dans le bloc de constitutionnalitĂ©.
La puissance acquise par le Conseil constitutionnel est d’autant plus gravissime que loin d’être impartial, celui-ci entend bien user de celle-ci pour faire triompher sa propre idéologie. Robert Badinter lorsqu’il était Président de cette institution n’avait pas caché son manque de partialité et de nos jours Laurent Fabius a repris le flambeau sur ce point. En France la véritable Cour suprême c’est le peuple disait en son temps le Général de Gaulle, mais le Conseil constitutionnel ne l’entend pas ainsi. Les membres de cette institution ont au fil du temps œuvrés pour transformer celle-ci en un véritable gouvernement des juges où une poignée de privilégiés non élus modifient selon leurs bons vouloirs et sans aucun contrôle des textes adoptés par les représentants du peuple.
Dans son livre « Le coup d’État des juges », Eric Zemmour résume parfaitement la technique utilisée par le Conseil constitutionnel, en ces termes : « la méthode est simple, inspirée de l’expérience deux fois séculaire de la Cour suprême. Le juge pioche, dans les Déclarations incantatoires et vagues à souhait de 1789 et 1946, ou dans les conventions européennes des droits de l’homme, des principes, qu’il découvre, interprète, façonne tel un alchimiste doué. Longtemps méconnus, et pour cause, ces principes sont présentés comme rétrospectivement évidents , le juge les consacre, les oints de son huile sacrée, et les impose à un pouvoir qui n’en peut mais. S’il se sent moins fort, moins sûr de lui, il émet des réserves d’interprétation qui, sous couvert de bonnes notes accordées au législateur, vident de son sens le texte présenté et interdisent à tout futur gouvernement de revenir sur la question, sans passer sous ses fourches Caudines. C’est de la belle ouvrage, où l’arbitraire est paré des oripeaux du Droit et de la hiérarchie des normes », fin de citation ;
Cette situation impose de s’interroger sur l’opportunité d’au minimum restreindre les pouvoirs du Conseil constitutionnel, voire de le supprimer, étant précisé que l’état de la Constitution de la cinquième république, dont le texte a été profondément dégradé, conduit également à s’interroger sur le devenir de la République, qui n’a finalement fonctionné réellement qu’en présence du Général de Gaulle.