Je suis aujourd’hui ce que l’on pourrait appeler un ancien d’internet. J’ai vécu le début d’internet pour le grand public, cette période où l’on nous disait « cela ne marchera jamais », mais aussi où internet effrayait une partie de la population, une période aussi où l’on était des initiés, des pionniers.
En ce temps-là, la fibre optique n’existait pas, ni la 5G. On devait se contenter de modems. J’avais un US Robotics 56k, une bête de course pour l’époque, comparé à certains concurrents qui plafonnaient à une vitesse plus basse. Au début de cette époque, les forfaits internet n’existaient pas. Les factures téléphoniques s’envolaient. L’usage d’un logiciel faisant office de compteur nous permettait d’estimer le prix que nous allions payer mensuellement. Les fournisseurs internet avaient un autre nom, il y avait Club Internet et d’autres, dont on ne se souvient pas nécessairement.
A cette époque aussi, internet était principalement non commercial. Avec d’autres personnes, nous avions d’ailleurs créé une fédération des sites internet proposant du contenu juridique à titre non commercial.
La technologie s’est ensuite développée. Est arrivé l’ADSL, puis la fibre optique, puis internet via les téléphones mobiles. Les commerçants ont investi le réseau des réseaux. Celui-ci s’est progressivement ouvert à d’autres personnes, à d’autres générations, à d’autres usages.
Cette ancienneté me permet de comparer différentes périodes et d’en tirer des conclusions sur l’usage d’internet. Sans doute cette observation pourrait être complétée par d’autres remarques, mais il me semble que l’on peut considérer que l’on est passé d’une culture de l’écrit à une culture reposant sur la vidéo et l’audio, ou, si vous préférez, à une culture multimédia. Parallèlement, on est passé d’une culture du temps long à une culture du temps court.
1. Le passage d’une culture de l’écrit à une culture multimédia
Les premiers sites internet étaient principalement construits avec des pages internet proposant des données écrites. Cette situation résultait des contraintes de la technologie disponible et par la découverte de ce nouveau média. Les utilisateurs pour développer leur site internet s’inspiraient alors, pas nécessairement consciemment, de la technologie qui existait pour les livres, soit l’écrit et des photos, car à cette époque des photos pouvaient être disponibles sur internet, notamment avec les newsgroups, lesquels semblent depuis être tombés en désuétude.
Mais la technologie a évolué au fil du temps. Faire des vidéos et les mettre en ligne est devenu de plus en plus facile. De même pour l’audio. Ainsi des sites comme YouTube ont rencontré un vif succès. Certaines personnes limitent d’ailleurs leurs usages d’internet aux vidéos et à l’audio et ne lisent pas d’articles. Progressivement nous sommes donc passés d’une culture de l’écrit à une culture multimédia. Même si cela peut être considéré comme étant un peu différent, on peut noter que le développement du livre audio peut traduire lui aussi ce passage d’une culture de l’écrit à une culture multimédia, le livre audio remplaçant le livre papier, voire le livre numérique non audio.
2. Le passage d’une culture du temps long à une culture du temps court
Nous sommes également passés d’une culture du temps long, où il fallait par exemple passer du temps à la lecture d’un article, à une culture du temps court. En ce sens, on peut retenir le succès de réseaux sociaux tels que TikTok où le développement des shorts sur YouTube, format court en pleine croissance. Même X, le fameux « ex-Twitter » pourrait être cité en ce sens puisqu’il repose sur des messages courts.
Plus largement, on peut aussi tenir compte dans le domaine de la rencontre du succès d’applications telles que Tinder qui permet de swiper et en réalité de switcher d’une personne à l’autre. Ainsi les relations deviennent éphémères avec des gens qui sont devenus des produits jetables, on est bien loin des périodes antérieures où l’engagement existait et se tenait sur la durée.
3. Des modifications culturelles qui peuvent devenir problématiques
On ne peut pas exclure que ces évolutions culturelles deviennent problématiques. Les principaux risques concernent le passage d’une culture du temps long à une culture du temps court, qui peut entraîner un abrutissement de la population, devenue incapable de se concentrer longuement. De même, cela peut favoriser chez elle la volonté d’avoir une récompense immédiate, entraînant ainsi un recul de la capacité à avoir une récompense à long terme qui pourrait par exemple résulter d’un investissement financier ou dans une activité particulière. Pour contrer ces risques, il pourrait être intéressant de développer des formats courts qui ne reposeraient pas sur le divertissement ou l’abrutissement mais plutôt sur la délivrance d’informations enrichissantes pour l’esprit.
Concernant le recul de la culture écrite face à la culture multimédia, cela pourrait aussi poser des problèmes. En effet, l’écrit est un support essentiel pour la transmission des informations et pour développer une réflexion. Il pourrait donc y avoir un souci sur ces points-là. D’un autre côté, la culture multimédia peut aussi permettre la transmission de données intéressantes, en fonction des informations concrètes contenues dans le support audio ou vidéo. Il faudrait donc veiller à développer des contenus culturels enrichissants sur ces supports et non du pur divertissement aussi pitoyable que puéril.