L’édition numéro 18 de la revue Conflits, parue au troisième trimestre 2018, a révélé une réponse percutante du colonel Michel Goya à la question cruciale de la nécessité d’une réserve militaire : « La réserve a toujours été un élément essentiel de la bataille. Le commandant garde de côté des troupes qu’il n’utilisera qu’en dernier ressort : la garde impériale de Napoléon qui, dans les faits, intervient rarement, uniquement quand cela est indispensable. Or la garde impériale, pour un comptable, c’est une aberration. Rassembler nos meilleures troupes pour ne pas les utiliser ! Pourtant la réserve permet de faire face à une manœuvre inattendue de l’ennemi ».
Cette réponse souligne la dangerosité d’accorder une trop grande importance aux chiffres au détriment d’autres aspects. Une telle situation peut ainsi être observée également en ce qui concerne la gestion des hôpitaux en France, où une approche purement comptable nous a conduit à une situation désastreuse.
Le monde de l’entreprise peut également tirer une leçon de cette déclaration du colonel Michel Goya. En effet, dans le monde professionnel, une véritable bataille peut se dérouler entre les acteurs du chiffre et ceux du droit. Ces deux groupes, malgré leur nécessité commune au sein des entreprises, proviennent généralement d’univers différents, créant des tensions inévitables.
Les experts du chiffre sont naturellement enclins à privilégier les objectifs liés à leurs compétences. Ils se concentrent souvent sur le développement du chiffre d’affaires, la gestion des dettes et l’optimisation des bénéfices. En revanche, les professionnels du droit sont tenus de respecter les règles légales et de minimiser les risques juridiques pour l’entreprise. Ce déséquilibre crée une dynamique où les uns cherchent à maximiser les profits, tandis que les autres agissent comme un contrepoids, évitant des dérives potentielles.
Bien souvent, la préférence est accordée aux acteurs du chiffre au détriment de leurs homologues du droit. Même en présence d’une direction juridique, celle-ci peut être placée sous l’autorité de la direction administrative et financière, illustrant ainsi la domination du chiffre sur le droit au sein de l’entreprise. De même, la direction administrative et financière est plus représentée que la direction juridique au sein du comité de direction ou du comex.
Malgré des évolutions perceptibles, le droit semble encore céder devant les impératifs chiffrés. Il est essentiel de reconnaître pleinement la fonction juridique dans le monde de l’entreprise. Considérée souvent comme une fonction de support ou un centre de coût, elle est reléguée au second plan par rapport aux fonctions financières et commerciales. Cette situation, bien que sujette à changement, souligne l’urgence de rééquilibrer les dynamiques au sein des entreprises pour tirer le meilleur parti des équipes juridiques.