L’affaire Suzanne Vandeput qui s’est déroulée au début des années 60 nous permet de voir les tristes conséquences du défaut de sécurité de certains produits de l’industrie pharmaceutiques et l’influence que de tels faits peuvent avoir sur une partie de la législation.
Suzanne Vandeput avait accouché à la maternité de Rocourt, dans la commune de Liège en Belgique d’un enfant, nommée Carine, souffrant d’importantes malformations. En effet, celui-ci était né sans bras. Des embryons de mains étaient soudées à son corps. Son cerveau avait un poids excessivement faible par rapport à celui d’un nouveau né habituel. Des termes plus médicaux permettent de préciser que l’enfant présentait notamment une agénésie des membres supérieurs, accompagnée d’angiomes de la face et d’une malformation anale.
Les parents désiraient que l’enfant soit euthanasié mais le médecin accoucheur refusa. C’est par un autre médecin, le docteur Casters, que Suzanne Vandeput parvient à obtenir une dose mortelle de Véronal, un puissant somnifère, qu’elle injecta dans un biberon pour mettre un terme à la vie de son enfant, lequel aura vécu une semaine. Après le décès de l’enfant les parents appelèrent le médecin de famille qui constata que la mort n’était pas naturelle et obtient l’aveu du père de l’enfant sur le fait que la mère de celui-ci l’avait tué.
Alors que le parquet a tenté dans un premier temps de classer cette affaire une indiscrétion de la presse porta ce dossier à l’attention du public. Suite à cette médiatisation les faits commis par Suzanne Vandeput conduisirent à un procès pénal pour meurtre, procès qui s’est déroulé en novembre 1962 devant la cour d’assises de la province de Liège. Ce procès concernait quatre membres de la famille Vandeput (Suzanne Vandeput, sa sœur, son époux, sa mère) et le docteur Casters.
La documentation relative à ce procès met souvent en avant la lecture en cours d’instance d’une lettre du professeur Michel Heller de la Sorbonne, dont la fille était née infirme : « Je ne discute pas des arguments juridiques, sociaux ou religieux qui vous seront avancés et qui sont eux-mêmes d’une grande valeur. Je veux seulement porter témoignage des souffrances d’une enfant, et par elles, vous faire sentir qu’à côté d’un débat théorique, il existe une autre vérité beaucoup plus simple qui n’est pas faite d’idées ou de principes, si justes soient-ils, mais de gémissements, de cris pendant des nuits entières et de regards effarés qui supplient dans l’inconscience. Débats de conscience ? il est vite clos. Les règles de la loi, les principes de la morale publique ou de la religion peuvent nous convaincre de nous infliger à nous-mêmes les plus douloureuses épreuves, ils ne peuvent nous obliger à les infliger aux autres, surtout à des enfants. Si tant de parents et de médecins laissent le tragique destin s’accomplir, ce n’est pas dans une pleine conscience qui en feraient des criminels. C’est d’abord parce qu’ils gardent au début l’espoir insensé d’un miracle, et qu’ensuite il est trop tard. C’est aussi parce qu’il faut un courage singulier pour décider de la mort d’un enfant. »
Le jury prononça un acquittement pour chacun des cinq accusés.
Nous souhaitons évoquer plus particulièrement deux aspects relatifs à cette affaire.
Le premier aspect concerne la sécurité des produits élaborés par l’industrie pharmaceutique. En effet les malformations dont souffrait l’enfant étaient imputables à la thalidomide, médicament commercialisé en Belgique sous le nom de Softenon. Depuis le 1er octobre 1957 ce produit était prescrit dans plus de cinquante pays par les médecins comme tranquillisant à l’usage de tous et également pour lutter contre les nausées chez les femmes enceintes. Les ventes sont élevées : 6 423 795 comprimés ont été commercialisés au Canada. En 1960 et 1961 il s’écoulait 10 000 flacons par mois en Grande Bretagne ainsi qu’en Belgique. Mais des constatations plus qu’alarmantes ont progressivement vues le jour, dès la fin de l’année 1957 pour s’amplifier au début des années 60. Après plus de 12 000 victimes de malformation en raison de la prise de ce médicament le lien entre celui-ci et ses effets nocifs sur l’embryon ont été reconnus officiellement, malgré les contestations du fabricant, en 1962 ce qui conduit à l’arrêt de sa funeste commercialisation. Ceci doit nous rappeler la mauvaise foi, d’une partie au moins, de l’industrie pharmaceutique qui profite chaque année d’un chiffre d’affaires particulièrement élevé sans produire pour autant des produits entièrement sécurisés. De nombreux laboratoires, parmi les plus connus, à l’instar de Pzifer, ont été condamnés par le passé. Cela pourrait nous faire réfléchir par rapport aux faits qui se sont produits ces dernières années et aux produits médicaux qui ont été administrés à une partie importante de la population sans en outre faire le nécessaire pour leur permettre de donner un consentement libre et éclairé.
Livres recommandés sur la thalidomide :
– Le drame de la thalidomide: Un médicament sans frontières 1956-2009, Jerone Janicki,
– The Thalidomide Catastrophe: How it happened, who was responsible and why the search for justice continues after more than six decades, Martin Johnson, Raymond G. Stokes, Tobias Arndt.
Le second aspect concerne l’arrêt de la vie d’une personne considérée comme anormale en raison des malformations qu’elle présente. Dans le cas de Suzanne Vandeput la mise à mort de son enfant n’a pas été sanctionnée. La juridiction a donc considéré que l’arrêt de la vie d’une personne pouvait être justifié par l’existence de malformations graves. On touche ici à un domaine particulièrement délicat qui ne peut qu’éveiller les passions et les sentiments les plus contradictoires. Il y a là une forme d’eugénisme, dont on retrouve une trace dans la législation française relative à Interruption médicale de grossesse (IMG), également appelée avortement thérapeutique, qui peut être pratiquée à tout moment de la grossesse, notamment dans le cas où l’enfant à naître à une forte probabilité d’être atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic.