L’arrêt récent rendu le 21 décembre 2023 par la Cour de justice de l’Union Européenne concernant la fameuse Super League tant désirée par des grands clubs européens de football nous donne l’occasion de faire un point sur l’évolution de ce sport et sur certaines règles de droit le concernant.
Dans le passé, la Cour de justice de l’Union Européenne, alors dénommée Cour de justice des Communautés européennes, a rendu un arrêt fondamental le 15 décembre 1995 concernant le football, le fameux « arrêt Bosman ». Cet arrêt, bien qu’ayant été rendu dans une affaire intéressant en premier lieu le domaine du football, a une portée beaucoup plus grande pouvant être étendue à toutes les disciplines sportives professionnelles ou semi-professionnelles des pays membres de l’Union européenne.
1. L’arrêt Bosman et ses répercussions
Le dispositif de l’arrêt Bosman comporte les trois points suivants :
– L’article 48 du traité CEE s’oppose à l’application de règles édictées par des associations sportives, selon lesquelles un joueur professionnel de football ressortissant d’un État membre ne peut être employé par un club d’un autre État membre qu’en échange d’une indemnité de transfert.
– L’article 48 du traité CEE s’oppose également à l’application de règles limitant le nombre de joueurs étrangers dans les équipes pendant les compétitions.
– L’effet direct de l’article 48 du traité CEE ne peut être invoqué à l’appui de revendications relatives à une indemnité déjà payée ou due avant la date de l’arrêt.
Avant cette décision de justice, les clubs européens ne pouvaient avoir dans une équipe que trois joueurs étrangers ressortissants de l’Union européenne. Ce quota n’existe plus suite à l’arrêt Bosman.
Cette décision de justice, si elle a été bénéfique pour les footballeurs, a radicalement changé la face du football dans un sens catastrophique. Les clubs les plus riches ont été en mesure de littéralement « piller » les clubs les plus « pauvres », devenus incapables de conserver les meilleurs joueurs de leur effectif. Progressivement, les équipes des différents championnats nationaux ont comporté de plus en plus de joueurs étrangers, lesquels ont même été en mesure de constituer pour certains matchs le onze de départ.
Les clubs les plus riches, disposant ainsi des meilleurs effectifs, ont accumulé les trophées et les victoires, devenant ainsi de plus en plus fortunés. Il en va de même pour les joueurs exerçant pour ces clubs, devenant riches à plus soif et perdant leur boussole morale.
2. Les conséquences actuelles et le projet de la Super League
Les intérêts des clubs les plus puissants ainsi que ceux de l’UEFA se sont rejoints au point de tailler sur mesure le format de la Ligue des champions pour réduire le plus possible l’aléa sportif. Si la ligue des champions n’est pas officiellement une compétition fermée elle l’est quasiment en pratique pour les niveaux les plus élevés, ce qui est dû aussi bien au format de la Ligue des champions qu’aux conséquences de l’arrêt Bosman.
Cette situation est désastreuse car non seulement la volonté de réduire l’aléa sportif est contraire à l’intérêt sportif mais en outre le fait de voir les matchs se répéter entre les mêmes équipes est susceptible d’entraîner un désamour d’une partie du public.
Comme si cela ne suffisait pas, une partie des clubs les plus puissants ont eu l’idée de concevoir entre eux une compétition fermée sur le modèle de compétitions existant aux USA, ceci dans l’espoir d’obtenir encore plus de revenus en réduisant encore plus l’aléa sportif qui deviendrait ainsi quasiment inexistant. C’est le fameux projet de la Super League dont on entend parler depuis les années 90 avec selon les années des modifications dudit projet.
Ce projet est naturellement contesté par l’UEFA ainsi que la FIFA qui considèrent qu’une compétition concurrente pourrait tuer sa poule aux œufs d’or. Certains clubs contestent aussi ce projet sans que l’on sache vraiment si cette contestation est sincère ou résulte d’une crainte de mesures de rétorsion exercées par l’UEFA et la FIFA. En effet, la FIFA et l’UEFA ont menacé de sanctions les joueurs et les clubs qui participeraient à cette compétition.
C’est la raison pour laquelle l’European Superleague Company a saisi le tribunal de commerce de Madrid d’une action contre la FIFA et l’UEFA, car elle estime que les règles de ces associations sur l’autorisation des compétitions et sur l’exploitation des droits médias violent le droit de l’Union européenne. Au lieu de se prononcer directement, le tribunal espagnol a préféré, par un renvoi préjudiciel, interroger la Cour de justice de l’Union Européenne sur ce point.
Il résulte de l’arrêt rendu le 21 décembre 2023 par cette juridiction dans ce dossier que les règles de la FIFA et de l’UEFA sur l’autorisation préalable des compétitions de football interclubs, telle que la Superleague, violent le droit de l’Union car elles sont contraires au droit de la concurrence et à la libre prestation de service.
Malgré cet arrêt, la Cour de justice de l’Union Européenne ne tranche pas sur le cas spécifique dont connaît le tribunal de commerce de Madrid dans ce dossier initié par l’European Superleague Company et il appartiendra à cette dernière juridiction de se prononcer concrètement sur ce dossier. Il sera donc nécessaire de patienter pour connaître la décision que prendra ce dernier.
#ECJ: The #FIFA and #UEFA rules on prior approval of interclub #football competitions, such as the Super League, are contrary to #EUlaw #EuropeanSuperleague 👉 https://t.co/ATb3CgbPxg pic.twitter.com/XCnLzwIKWb
— EU Court of Justice (@EUCourtPress) December 21, 2023
Sans attendre, le format de la Super League a toutefois été annoncé dès le 21 décembre 2023. Cette compétition comporterait trois ligues, un système de promotion-relégation et soixante-quatre clubs.
Dans le cas où cette compétition verrait finalement le jour, il reste à voir si elle pourrait rehausser le niveau de ce sport, qui ne présente plus, sportivement, de véritable intérêt dans la forme actuelle des compétitions observables alors qu’à certaines périodes, lorsqu’il était bien pratiqué et bien encadré, des phases de jeu et des gestes techniques pouvaient être considérés comme une forme d’art.