« L’œil était dans la tombe et regardait Caïn », écrivit Victor Hugo pour clore son poème intitulé « La conscience ». L’œil qui voit tout a inspiré d’autres penseurs tels que George Orwell avec l’œil de Big Brother dans son livre 1984, Philip K. Dick pour son roman de science-fiction « L’Œil dans le ciel« , et Arthur C. Clarke et Stanley Kubrick avec le capteur optique du supercalculateur HAL 9000, ou CARL 500 en France, de 2001, l’Odyssée de l’espace. L’œil qui voit tout semble refléter notre vie à tous, de plus en plus soumise à une surveillance omniprésente, rappelant la dystopie de 1984, orchestrée par des responsables politiques français et étrangers que, par précaution, nous décrirons sobrement comme des individus « malaisants ».
Le mot « panoptique » est étymologiquement issu du mot grec ancien « panoptes », signifiant « qui voit tout ». Cette volonté de tout voir a conduit le philosophe et juriste Jeremy Bentham à imaginer, à la fin du XVIIIe siècle, un univers carcéral conçu pour permettre une surveillance totale, en tout lieu et en tout temps, baptisé le fameux panopticon. Examinons ce concept en plusieurs points.
1. L’époque entourant la naissance du concept du Panopticon
La réflexion de Jeremy Bentham sur le Panopticon se situe dans une époque marquée par d’importantes réflexions visant à faire évoluer le droit pénal. Cesare Beccaria, avec son ouvrage « Des délits et des peines« , propose une rupture significative avec les pratiques et règles jusqu’alors applicables, en préconisant des mesures axées sur la prévention et l’établissement d’une proportionnalité entre la peine et l’infraction commise.
Bien que Cesare Beccaria soit largement connu en France pour ses réflexions sur le droit pénal à cette époque, d’autres contributeurs, tels que John Howard dans « The State of the Prisons » (1777), examinent également les conditions de vie carcérales et critiquent sévèrement les lacunes du système carcéral de l’époque. À la même période, Jonas Hanway prône l’isolement carcéral des individus dans son ouvrage « Solitude in Imprisonment » publié en 1776, estimant que l’isolement peut favoriser la réhabilitation des délinquants en les préservant de mauvaises influences et en encourageant la réflexion personnelle.
Le droit pénal et le système carcéral étaient caractérisés par leur sévérité. Concernant les systèmes de surveillance, ils reposaient généralement sur une présence physique constante des surveillants, étaient coûteux et ne permettaient pas une surveillance optimale. Bentham s’est attelé à concevoir un système de surveillance efficient, capable de dissuader le comportement déviant et de maintenir l’ordre sans recourir à une coercition constante.
2. L’architecture au service de la surveillance
Bentham imagine un modèle architectural visant à permettre une surveillance totale d’un groupe de personnes sans qu’elles puissent déterminer si elles sont observées ou non.
L’idée centrale du panoptique repose sur la conception d’une structure circulaire où un observateur central, situé dans une tour centrale, peut voir tous les individus dans des cellules disposées en cercle autour de la tour. Il n’existe pas d’angles morts, assurant une visibilité totale. Les cellules ont des fenêtres donnant sur l’extérieur, mais la tour centrale est conçue de manière à ce que les individus dans les cellules ne puissent pas voir l’observateur. Cela crée un sentiment permanent de surveillance, car les personnes dans les cellules ne savent pas quand elles sont observées, incitant ainsi à l’auto-discipline. Ce mécanisme engendre une forme de contrôle mental, où les individus modèlent leurs actions selon les attentes de l’autorité, même en son absence physique. L’idée sous-jacente était que la menace perpétuelle d’être observé inciterait les détenus à adopter un comportement conforme aux règles de la prison.
La tour centrale, placée en position élevée, est l’épicentre du pouvoir de surveillance. De là, un seul gardien ou observateur peut voir simultanément toutes les cellules sans être vu en retour. Cette asymétrie de la visibilité confère à l’autorité un contrôle absolu, induisant un sentiment de vigilance omniprésente chez les détenus ou les surveillés. La disposition des cellules en cercle renforce cette dynamique, créant un effet de panoptique.
Bentham estimait que le Panopticon pouvait également atteindre d’autres objectifs, permettant de surveiller un grand nombre de personnes avec un nombre réduit de gardiens. Ainsi, les gardiens étant moins nombreux, les coûts d’exploitation de la prison, notamment les salaires des gardiens, seraient moins importants que pour une prison traditionnelle.
3. L’édification des prisons panoptiques
Bentham décéda en 1832 sans avoir la satisfaction, dit-on souvent, de voir son projet de prison panoptique aboutir avec succès. On avance que le pénitencier de Pittsburgh aux États-Unis, qui a débuté son activité en 1826 pour cesser celle-ci sept ans plus tard, s’en approchait. L’échec de l’exploitation de ce pénitencier serait lié à des coûts trop importants et à une mauvaise viabilité.
Bien que plusieurs prisons aient été construites sur le modèle du panopticon, a priori après le décès de Bentham (notamment au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, aux États-Unis, en Italie, à Cuba), il semble toutefois que la prison de la Petite Roquette en France ait été inaugurée en 1830 alors que Bentham était encore vivant. Cette prison était toutefois de forme hexagonale, avec les fenêtres des cellules orientées vers le poste central de surveillance plutôt que les portes. De même, on peut noter que la Maison Ronde en Australie a été édifiée en 1830 et 1831, soit avant la mort de Bentham. Il existe donc des panopticons qui ont été construits du vivant de Bentham, même s’il n’a pas été en mesure de les voir.
4. Les critiques et controverses relatives au panopticon
L’application du panoptique dans les prisons n’a pas été exempte de critiques et de controverses. Certains ont souligné que le système pouvait favoriser les abus de pouvoir, les gardiens utilisant la surveillance constante pour exercer un contrôle excessif. De plus, des critiques ont remis en question l’efficacité réelle du panoptique, notant que la promesse d’une auto-régulation par la surveillance permanente n’était pas toujours vérifiable.
5. Influence sur la pensée et la société
L’influence du panoptique va bien au-delà de son application initiale dans les prisons. Au-delà des prisons, le concept du panoptique s’est étendu à d’autres domaines de la société. Les écoles, les usines, les hôpitaux et d’autres institutions ont adopté des structures et des pratiques inspirées du modèle panoptique. La notion de surveillance constante s’est infiltrée dans divers aspects de la vie quotidienne, que ce soit par des systèmes de notation ou d’autres moyens.
Le panoptique a laissé une empreinte significative sur la pensée philosophique et a été au cœur de débats sur le pouvoir, la discipline et la nature du contrôle social. Le philosophe Michel Foucault, dans son ouvrage « Surveiller et punir » paru en 1975, explore les implications du panoptique sur la société et la formation du pouvoir. Il utilise le panoptique comme une métaphore pour décrire la société disciplinaire, où le pouvoir est internalisé et la surveillance devient omniprésente.
6. La pertinence du panoptique dans le monde moderne
Le concept du panoptique est toujours d’actualité, mais il a dépassé le stade architectural pour passer à un stade plus global, car désormais la surveillance est véritablement partout où les moyens technologiques peuvent s’appliquer.
À l’ère numérique, où les données personnelles sont collectées massivement, les parallèles avec le modèle panoptique deviennent plus évidents. Les technologies de surveillance numérique, telles que la collecte de données en ligne et la géolocalisation, soulèvent des questions cruciales sur la protection de la vie privée et le respect des libertés individuelles.
Si le panoptique se concentre sur une surveillance physique, les technologies modernes se tournent vers la surveillance numérique, exploitant des algorithmes sophistiqués pour analyser des masses de données, y compris physiques, via des technologies telles que les caméras de surveillance et la reconnaissance faciale. La version moderne du panoptique s’applique dans le monde entier, potentiellement sans limitation, le rendant d’autant plus terrifiant.